La culture générale aux concours
La fin de la culture générale aux concours est annoncée. Elle suscite une certaine polémique. Cette fin est justifiée par son action discriminatoire, élitiste et stérile, présentée comme en dehors des réalités concrètes du monde de l’emploi. Mais sait-on déjà de quoi on parle lorsque l’on évoque cette formule : "culture générale" ? Il s’impose donc de donner la vraie définition de ces deux termes accolés dont le sens est souvent détourné, puis de voir si les arguments en défaveur (ou en faveur) de son maintien sont fondés.
Comment définir correctement la culture générale ?
Il est vrai que le débat est souvent biaisé par la confusion que l’on fait généralement pour définir ce qu’est la culture générale. L’aspect cocasse, c’est justement qu’un manque de culture générale explique cette méconnaissance.
La culture doit être perçue à la fois comme un ensemble d’éléments qui permet de distinguer une société d’une autre et comme un ensemble d’acquis (essentiellement mais pas exclusivement des connaissances).
Ceci posé, la culture générale représente, si l’on peut dire, un spectre très large de cet ensemble. A ce titre, la culture générale est transdisciplinaire. Mais elle n’est pas seulement un ensemble de matières scolaires !
On confond encore trop les termes de « culture de base », « culture élitiste » et culture générale ». La culture de base, c’est ce que tout un chacun est censé savoir, un fond minimum en quelque sorte, que l’on peut évaluer en affirmant qu’il s’agit de l’ensemble des connaissances acquises soit d’un élève de primaire, soit d’un élève de collège au sortir de la 3e.
La culture élitiste ne s’évalue pas en termes de niveau scolaire mais de pratiques sociales conjuguées à une soif de connaissances personnelles. Elle se rapproche avant tout cependant d’un niveau universitaire et se rapporte le plus souvent aux arts et à la littérature. On sait que tout le monde ne va pas au théâtre ou à l’opéra par exemple. Mais le terme « élitiste » est lui-même équivoque, car il s’agit de faire la distinction entre culture de masse et culture élitiste. Du coup, la plupart des éléments entrant dans le champ d’une culture dite élitiste s’étudie déjà au lycée et compose le programme de l’enseignement supérieur. De plus, cette distinction arbitraire conduit à des oppositions frontales telles que BD / littérature, cinéma / théâtre, théâtre /opéra, art classique / art moderne, télévision / cinéma, cinéma populaire / cinéma d’auteur… Dans la réalité, les clivages ne sont ni systématiques ni toujours pertinents. Il suffit de mentionner, ces dernières années, le succès populaire de films qu’on aurait volontiers qualifiés d’élitistes, voire très élitistes.
Alors qu’en est-il de la culture générale ? Elle ne se restreint pas à la culture de base, mais elle l’englobe ; en ce sens la culture générale suppose la maîtrise de la culture de base. Se confond-elle pour autant avec la culture élitiste ? La culture générale dépasse très largement le cadre traditionnellement attribué à la culture élitiste : elle ne se contente pas, par exemple, d’un questionnaire sur les arts et la littérature, ainsi que sur l’histoire et la géographie. Elle s’intéresse tout autant aux aspects quotidiens et pratiques, aux loisirs et aux sports, aux sciences et aux techniques, et, c’est là un trait de son originalité, à l’actualité au sens large. La culture générale est donc avant tout l’émanation d’une attention particulière portée au monde et d’une curiosité d’esprit. En ce sens, la culture générale, qui se nourrit bien sûr de l'environnement et de la scolarité, est une démarche personnelle.
A titre d’exemple, les derniers résultats sportifs ou la recette des crêpes ne sont ni des éléments de la culture de base, ni de la culture élitiste, loin s’en faut. Pourtant ce sont bien des éléments de la culture générale. Et l’adjectif « générale » qui qualifie le mot « culture » prend ici tout son sens. Ce n’est pas non plus un savoir encyclopédique, tel que des grands penseurs comme Aristote ou Léonard de Vinci le pratiquaient.
Le type d’éléments qui se trouve dans la culture générale, c’est aussi bien être capable de donner les ingrédients de la recette de la mayonnaise, les résultats de la coupe Davis au tennis ou le club en tête de classement de la Ligue 1 au football, les numéros des départements français ou les capitales des Etats européens, de nommer les présidents de la Ve République ou de déterminer sous quel monarque fut construit le château de Versailles, à quelle espèce ou genre appartient le lapin ou la formule chimique de l’eau, à quoi correspond le sigle ENA ou sur quel quai se situe le Ministère des Affaires étrangères, etc.
On notera précisément que les questions de culture générale sont souvent les mêmes qui sont posées dans de très nombreux jeux télévisés populaires ! Rappelons aussi que ceux qui y brillent ne sont souvent que des candidats issus de milieux modestes ou, moins souvent déjà, des classes moyennes et que leur profession (ou leur formation, car certains sont sans emplois) n’ont rien d’élitiste !
La culture générale est-elle un élément discriminatoire et élitiste ?
La culture générale est acquise, un peu contrainte, par l’éducation tout au long du parcours scolaire et universitaire. Elle débute dès la maternelle. Mais elle est surtout le fruit d’une curiosité d’esprit et de goûts personnels.
Son accès est relativement facile et l’est rendu encore plus par la multiplicité des supports multimédia : du livre à Internet, en passant par la télévision et les journaux. On voit mal dès lors comment la culture générale pourrait être élitiste, d’autant que ce n’est ni sa composante ni son objectif. Et si elle n’est en rien élitiste, elle ne saurait être discriminatoire. On rappellera que la scolarisation est obligatoire jusqu’à 16 ans en France. Et on a vu que l’école était aussi un vecteur d’acquisition, mais pas le seul.
Prenons un exemple très simple. Dans une cour de récréation pour les plus jeunes, au stade, dans un café, sur le lieu de travail, discutez des événements, de l’actualité, d’un coup de cœur, tout cela engendre de la socialisation. Or, les thèmes de discussion – ces thèmes-là justement – appartiennent à la culture générale. En ce sens la culture générale a un rôle de socialisation et d’intégration.
Dans le même temps, elle permet d’ouvrir des horizons, connaître l’Autre, ce qui permet de mieux le comprendre. Elle joue aussi un rôle de sécurisation et d’apaisement des conflits.
La culture générale, c’est aussi pouvoir acquérir une vision globale d’un ensemble de connaissances, souvent des connaissances pratiques ou techniques, en les contextualisant.
Enfin, dans ce prolongement, elle permet d’éveiller le sens pratique, apportant des connaissances aussi bien dans le domaine culinaire que sur certains aspects de la vie quotidienne (date de validité d’un chèque émis, déchiffrage de l’étiquetage des aliments, etc.).
Dès lors il est bien difficile de soutenir que la culture générale est stérile et qu’elle est facteur de discriminations. On vient de démontrer le contraire ! C’est un facteur d’intégration sociale, culturelle, citoyenne, professionnelle et pratique.
Et, au demeurant, un élève qui parvient jusqu’au concours de « Sciences Po », pour citer cet exemple, quelle que soit son origine ou sa situation socio-économique, est censé avoir la même culture générale due à son parcours scolaire, et des aptitudes différenciées selon ses goûts personnels et son niveau de curiosité. Un tel aura plus de facilité en musique classique, un autre en histoire, un autre en art contemporain, un autre encore en peinture impressionniste, un autre aussi en actualité, un autre enfin pour tout ce qui touche le sens pratique. Peu importe. Le milieu dans lequel le candidat aux concours a évolué et évolue n’aura pas plus d’incidence sur la culture générale qu’il pourrait en avoir en économie, en droit ou en sciences de l’administration ! Mieux, il en aura beaucoup moins, car la culture générale peut ouvrir une porte de sortie supplémentaire en cas de difficultés dans l’épreuve. La culture générale introduit une part de chance plus égalitaire.
Pourquoi la culture générale aux concours ?
La culture générale est accusée de détourner de l’objectif professionnel les candidats aux concours, et de l’évaluation des aptitudes réelles et pratiques. Ce précepte, érigé en constat de bon sens, donne à penser qu’un gardien de la paix ou un pompier n’a nul besoin de connaître l’histoire ou la géographie, par exemple. Mais cette assertion résiste-t-elle à un examen plus approfondi ? Pour cela, il faut précisément imaginer des situations concrètes et bien réelles sur le terrain. On admettra volontiers que la géographie joue au contraire un rôle important dans le quotidien de ces corps de métiers. Mais l’histoire ? Prenons quelques exemples simples. Il est essentiel pour un pompier de pouvoir distinguer un monument inscrit au Patrimoine d’un autre plus quelconque. De même, il est essentiel pour un policier ou un pompier de connaître la topographie des lieux sur lesquels il est amené à se déplacer (par exemple, savoir qu’il existe des traboules à Lyon et en quoi cela consiste). On pourrait multiplier les exemples à l’infini.
Mais la culture générale ne se résumant ni aux sciences humaines, si aux arts et aux lettres, il paraît tout aussi important pour ces corps de métiers et d’autres de connaître un minimum sur la culture de l’autre, ne serait-ce que pour éviter des conflits inutiles. Rappelons encore que l’éducation civique fait partie de la culture générale. Comment un fonctionnaire, quel qu’il soit, pourrait prétendre bien exercer son activité sans connaître les rouages qui concernent cette matière. On opposera que c’est un élément d’une discipline spécifique. Et en cela, on aurait tort, car ce n’est pas vraiment le cas.
Non pas qu’il faille défavoriser les matières plus techniques, destinées aux concours. Mais la culture générale tendrait plutôt à les renforcer, en ce sens qu’elle permet une vision plus globale. Le but de ces concours n’est pas de produire des robots, des sortes de machines basiques qui n’auraient aucune capacité en dehors de compétences techniques très orientés et donc aussi restreintes. Imagine-t-on un employé de mairie répondre techniquement aux administrés sans être capable de formuler en langage compréhensible la réponse à la demande ou à la plainte ? Eh ! oui, cela relève de la culture générale !
Il est évident qu’à une échelle plus haute dans la hiérarchie, la culture générale devient même, dans une certaine mesure, une discipline essentielle directement liée à l’emploi, donc aux aptitudes réelles exigées par le métier (et cela est particulièrement vrai pour les candidats aux concours de Sciences Po). Dans le cas contraire, pourquoi les rouages de la gouvernance ne seraient pas tenus uniquement par des techniciens (et non pas des politiques) ? N’oublions jamais que la culture générale préserve de l’excès de technocratie.
Tout est question de dosage, et de pertinence des questions. La culture générale serait dès lors une épreuve ciblée selon les concours. Mais aux dernières nouvelles, c’est de sa disparition pure et simple dont il est question. C’est, évidemment, l’abandon de la culture humaniste après le collège. On comprend dès lors très mal pourquoi avoir introduit une épreuve d’histoire des arts au sortir de la classe de 3e ! Et avant d’être un non-événement administratif et éducatif, c’est un fait sociétal.
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